Qui pourra un jour oublier les apparitions du Grand Tsar sur les terrains de tennis internationaux, ses coups de gueule incontrôlables, le jet de ses raquettes qu’il fissure au sol dans un énième cri de colère à chaque balle capricieuse qui heurte malencontreusement la bande du filet?
Qui pourra oublier le génie d’exception d’un prodige de 17 ans, débarqué tout droit du modeste Spartak Tennis Club de Moscou sur la scène internationale des professionnels pour y produire l’un des meilleurs tennis de toute l’histoire de la petite balle jaune?
217 victoires sur dur, 121 victoires sur terre battue, 58 victoires sur moquette et 26 victoires sur herbe… 2 Grand-chelems, 5 Masters 1000 pour un total de 422 victoires… Marat Safin.
Une carrière née d’un personnage qu’on ne peut évoquer sans esquisser un sourire nostalgique que suscite sa récente retraite professionnelle…, mais la reconnaissance de tout un public fidèle qu’il aura su émouvoir au son parfait de sa raquette qu’un talent inné a animé à travers les méandres d’un destin d’exception:
1m93 de puissance, 88 kg de robustesse, et un gamin de 13 ans qui déserte son grand froid natal pour la péninsule ibérique et l’académie de Pancho Alvarina à Valence. Lui, c’est la terre qui le botte. Son rêve? Remporter un jour Roland Garros à l’instar de tous ces hispaniques qui déferlent sur les courts ocres de la mi-saison.
« J’ai grandi vite et je n’avais pas beaucoup de muscles » expliquera t’il par la suite. « C’était mieux pour mes genoux »
Sous la tutelle de Rafael Mensua, le jeune adolescent effectue ses premiers pas à haut niveau pour espérer un jour toucher des doigts les podiums de prestige et , pourquoi pas, s’approcher de celui qu’il admire tant: le célèbre Ievgueni Kafelnikov.
Et pour cela, le Russe aura travaillé dur, très dur… trop dur? Dans son fort intérieur, deux personnages s’ignorent royalement l’un et l’autre. Le premier possède la fibre Safin, celle des vrais combattants qui laisse leurs adversaires sur les rotules avec cette audace toujours loyale que le monde lui reconnaît. Son pire cauchemar? Perdre. Ca le rend fou, à tel point que chacune de ses raquettes s’en souvient terriblement… et ses sponsors… et quelques éléments du décor qu’il envoie fréquemment valser sous le regard impuissant des juges-arbitres.
Le deuxième est celui que l’on croise habituellement hors des courts, celui qui affiche un sourire décontracté et une sympathie rare dans le monde de la compétition. Marat… toujours un mot agréable, une disponibilité exemplaire, un goût modéré pour la fête et les choses simples de la vie. Le genre d’homme qui délaisse ses baskets pour enfiler ses chaussures de marche et grimper les sommets de l’Himalaya pendant que d’autres trempent leurs maillots sur les courts de tennis.
Difficile de connecter l’homme au joueur, et pourtant le mariage des deux aurait été excellent si l’équilibre adéquat avait pu naître. Mais, y’a t’il réellement à redire sur son palmarès? Quinze titres dont cinq masters 1000 et deux Grand-chelems, douze finales ATP, une place de n°1 mondial acquise à 20 ans à peine et deux victoires en Coupe Davis sous les couleurs de son pays… Quel joueur ne saurait s’en satisfaire? D’ailleurs, le champion le dit lui même: de sa carrière, il ne garde « aucun regret ».
Seuls regrettent les férus des résultats hors-normes, des chiffres et de la performance qu’implique un mode de vie sans faille et une motivation à toute épreuve dans laquelle Marat n’aura passé qu’un temps. Après avoir effectué le yoyo au sein du top classement, c’est le 7 novembre 2005 qu’il quitte définitivement les rangs des 10 meilleurs pour frôler l’exclusion de la liste des 100. Des contre-performances, des blessures à répétition viennent ternir le champion mais n’entame en rien l’enthousiasme qu’il suscite auprès de son public, à chacune de ses magiques apparitions.
« J’ai été fair-play, je crois. J’ai été juste envers tous les joueurs, je ne me suis jamais disputé avec personne, à part une ou deux fois. Globalement, j’ai été sympa avec tout le monde. Parfois, même si je me disputais avec l’arbitre sur le court, on s’excusait après le match et c’était fini. Je ne me suis jamais plaint de personne. »
Et, pendant ces quatre dernières années, si ses résultats mitigés l’auront tout de même maintenu dans les cinquante meilleurs malgré les critiques des mauvaises langues, c’est auprès de ses adversaires que les mots les plus justes sont à retenir:
« C’est un merveilleux athlète, » a déclaré le grand Roger Federer, avec qu’il entretient de nombreux souvenirs « Il a un revers incroyable, et un naturel inné sur les courts et hors des courts. C’est la raison pour laquelle on l’apprécie tant.
« J’ai beaucoup de souvenirs en tête lorsque j’y repense. C’est un joueur incroyable, avec un potentiel énorme. Il est l’un de ceux qui ont révolutionné le monde du tennis en montrant qu’il est possible d’être très grand et de se déplacer très rapidement. Même s’il n’a pas été très constant, son très bon palmarès parle pour lui. »
C’est à la fin de l’année 2009, que Safin décide de mettre un terme à sa carrière brillante après onze années passées sur le circuit professionnel:
« J’ai vécu trop de pression pendant des années. Il faut toujours se remettre en question, accumuler les points, viser une place de tête de série en Grand Chelem, et se qualifier pour le Masters. Quand on joue au tennis, on est stressé 24 heures sur 24, sept jours sur sept… C’est beaucoup trop ! »
Si, de sa vie future, il n’a rien voulu confier, Marat Safin pourrait bien se tourner vers le monde des affaires pour tenter de mener une carrière qu’il souhaite « tout aussi brillante » que celle qui l’a mené à réaliser ses rêves de jeunesse.
« Il a un tellement grand talent tennistique que, s’il passe six mois sans jouer au tennis pour décider de revenir sur le circuit ensuite, rien ne sera jamais trop tard » a lancé l’entraineur de l’équipe de France Guy Forget.
Alors, que nous réserve à présent le Tsar qui, à seulement 29 ans, se tiendra désormais à l’écart des terrains de tennis qu’ont enflammés ses succès? Enfin… pas trop loin on espère, car son talent et son personnage risqueraient cruellement de nous manquer…